Anne le Troter
Anne le Troter explore les mécanismes du langage à travers ses installations sonores volontiers polyphoniques,. Nourrie par les expériences du quotidien et des poètes tels que Christophe Tarkos, Charles Pennequin ou Nathalie Quintane, sa pratique se développe à partir de l’enregistrement et du montage d’une parole collectée. L’oralité et les jeux de rôles qu’elle met en place deviennent les vecteurs d’une observation du monde qui tend de plus en plus à prendre la forme d’une œuvre totale traduisant sa fascination pour la représentation théâtrale. Entre décor et scénographie, elle construit des territoires pour ces voix sans corps qui se déploient dans l’espace.
" D’une manière ou d’une autre, j’écris. J’écris au moyen d’enregistrements oraux, résultats de mes journées passées à l’atelier à travailler la matière, donnant lieu à l’heure du couché à mes «pensées-sons». C’est marteler par les choses qui reviennent, qui font le tour, les rythmes entêtant que l’effet boomerang m’a mise en face du rapport à mon corps. La danse de l’écrivain et ma boite à musique. Ma danse de micro, seule, derrière mon enregistreur, dans ma chambre, sorte de karaoké personnalisé. La danse chez moi ça se marche, marche désorganisée accompagnée de petits bonds dans la chambre, là où se faire se peut. Je répète, répète et répète mes phrases. Je les double ces rythmes – la doubleuse, la souffleuse – en débitant mes textes sur des pas de flamenco, des percussions corporelles, du beat box, de la pop music, en voiture, transformée en studio d’enregistrement. Cette sorte de terrasse propice à l’écriture me permet d’inviter quelques personnes à enregistrer, à redire des phrases de danse devant notre point de vue commun pour donner des sortes de concerts sauvages, ensuite. De la même sorte qu’un musicien récitant ses gammes, je répète mes textes, les répètes encore et encore, en vue d’enregistrements. Je répète les mêmes phrases toute une journée pour les déposséder, pour ne plus les sentir passer. Cet état s’annonce généralement par une étrange satiation verbale autour du texte grâce à la récitation tremblante, qui torture, qui tortue, oui, une tortue récitante. C’est bien cela, ce travail de «mâchage», très lent et sans dent. Le processus de récitation, la mise en condition, l’isolement nécessaire à la pudeur. Bref le travail en amont me transforme en récitante, en récipient."