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Olivier Marboeuf
- 2 min
« Ah ! je vais mourir !... Rapproche-toi, réchauffe-moi ! Pas avec les mains ! Non ! Toute ta personne. »
Gustave Flaubert, « Saint-Julien l’Hospitalier ».
A peine remis d’un nouveau grisant hold-up de l’équipe de France de football contre la valeureuse équipe de Croatie que soudainement me voilà replongé dans les affaires courantes sans transition. Pas le temps de savourer la deuxième étoile fraîchement imprimée sur le maillot au-dessus de la silhouette fantôme d’un coq. Pas le temps de méditer cette étrange finale de Coupe du monde. Ça arrive. Alors que la pluie vient gâcher la photogénie de la cérémonie mondialement retransmise, ça arrive. Sans prévenir. Ça monte d’abord doucement, mais très vite cela devient gênant.
Le président de la République Française, Emmanuel Macron, prend les joueurs de l’équipe de France dans ses bras, langoureusement, leur tient la nuque avec un peu trop d’insistance. Ça dure, la poignée est ferme et amicale, amoureuse et délicatement autoritaire. La bouche est déjà dans l’oreille et déverse des confidences brûlantes. Le territoire national enveloppe les vainqueurs. Mais ce n’est plus le corps abstrait de l’Etat, c’est un corps prêt à toutes les intimités, auquel nul ne peut opposer de limites et de lieux secrets. Déploiement d’un dispositif narcissique dont on ignore s’il est une mise en scène outrancière ou simplement l’expression d’un système capitaliste intégré qui a fait des affects son nouvel objet d’extraction et du corps son terrain d’exercice. On n’avait pas souvenir d’avoir vu ça avant. Mais depuis l’avènement du nouveau royaume néolibéral français, il n’y a plus d’avant, plus d’Histoire de référence dont un jeune homme président pourrait se sentir prisonnier [^ Lors de son voyage en Algérie en décembre 2017, le président Macron affirme qu’il ne se sent pas prisonnier de l’histoire coloniale de la France.] .
Il y a pourtant une vieille tradition du séjour des hommes politiques dans les vestiaires de football les soirs de victoires et de célébrations nationales. Mais là il y a autre chose. Une véritable vampirisation, la capture affective d’un corps chargé de valeur, gorgé de renommée et de triomphe.
Je te prends dans mes bras alors que je ne te connais pas. Tu es maintenant mon immense ami parce que j’ai besoin que tu me donnes ce que tu as. Je n’ai pas de réconfort à t’offrir, je viens seulement sentir ta chaleur et la faire mienne.
Le président met à nu les stratégies du sentiment amoureux dans l’économie de la capture, un amour de soi dans le corps de l’Autre, matière saisie, pressée, excavée, tout autant que flattée. C’est simple et direct, cela devrait nous avertir, faire signe d’un projet de société dont le but est de saisir l’Autre avant qu’il ne s’enfuie vers sa propre histoire, sa propre autonomie, sa gloire et sa complexité, avant qu’il n’échappe à un roman national sans mémoire, avant qu’il ne pointe une différence, un écart.