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Dans ces billets d'actualités, un jeune de 18 ans vous propose de partager ses idées, ressentis et émotions à travers des événements et questionnements récents, le tout, dans la plus grande sincérité possible. Ces derniers temps, il a eu l'opportunité de disposer de temps et d'espace pour diverses réflexions et prises de recul. Allant des questionnements d'actualités aux questionnements intimes en passant par les questions existentielles communes, la diversité des sujets abordés a été importante, dont certains pourront se refléter dans certaines des lignes suivantes et des textes à venir.
Avant-propos
Dans ce texte, je vous propose de revenir sur cette année 2023 qui vient de se clore. Vous aurez alors compris qu'il ne s'agit pas ici d'un décorticage géopolitique d'expert, d'interprétations philosophiques complexes ou de prose excellentissime. Non, il s'agira simplement de revenir sur cette année à travers ses événements phares, et des questionnements critiques au regard de notre société. Le tout à travers mes propres émotions et ressentis. Peut-être que vous vous reconnaîtrez dans certains passages, phrases ou mots, ou peut-être pas. Le tout, étant que vous vous prêtiez au jeu de la découverte, sans jugements ni préjugés.
Cet espace doit être tout aussi libre pour vous qu'il l'a été pour moi.
Au départ, ce texte débutait par, « C'est en un long soupir de soulagement unanime, que cette année se termine ». Entre-temps, le 19 décembre, les députés français votent la loi immigration, il nous faut alors retenir notre souffle, une fois de plus, dans cette atmosphère irrespirable, et espérer expirer en janvier.
La tempête 2023 se clôt, et notre monde, pourtant de plus en plus chaud, en sort trempé d'incompréhensions, décoiffé de violence, le regard vide malgré tout ce qu'il a croisé.
Une énumération de tous les événements qui ont pu marquer cette année ne serait probablement pas judicieuse ici, mais il semble important tout de même d'en rappeler les principaux éléments, à différentes échelles.
Tout d'abord, en France. Une année plus que mouvementée, animée par le militantisme mis en place face aux différentes réformes votées (ou non) et appliquées par le gouvernement. C'est en effet la première chose qui me vient à l'esprit, car cette dernière année de lycée a été particulièrement rythmée par ces différents sujets avec une mobilisation étudiante et lycéenne importante. Tout au long de l'année, des débats, des blocus, des votes et des mobilisations inter lycéennes ont pu avoir lieu. Un conflit sans dialogue a alors pu naître entre les administrations et les élèves mobilisés, qui pour certains ont été obligés de se masquer pour ne pas risquer l'exclusion. Le portail des établissements a alors pris une symbolique forte car l'intérieur du lycée représentait la sécurité vis-à-vis des forces de l'ordre mais également l'obligation de redevenir un élève modèle, présent pour apprendre et rien d'autre. De l'autre côté du portail, une autre forme d'apprentissage, celui de la mobilisation, du débat et de la prise de parti. Le débat entre les élèves a été tout aussi important et tendu, et a peut-être pu manquer d'objectivité, étant donné l'importance de l'image que l'on renvoie aux autres à cet âge et dans ce contexte. Drôle de climat pour choisir une orientation et passer un baccalauréat. Cela me paraissait d'autant plus compliqué de formuler une opinion objective, sans tout mélanger. Sans compter que le débat public se voyait pollué par les médias avides de gros titres, ne rougissant pas devant la déformation de la vérité. Le tout, décrédibilisé par les politiques concernés qui, en qualifiant le mouvement de violent posaient un voile opaque sur les différentes revendications.
À l'échelle du monde, il a fallu comprendre et accepter que les génocides et la réalité palpable de la guerre n'appartiennent pas au passé. D'autant plus pour une jeune génération occidentale qui n'a jamais eu à s'en soucier, ce qui à mon sens témoigne de l'un de ses plus grands privilèges. La guerre en Ukraine nous rappelle la fragilité de l'équilibre mondial, tandis que le conflit Israélo-palestinien, a lui tourné en nettoyage ethnique. Les crimes de guerre commis par le Hamas ont servi de prétexte à Israël pour éradiquer le peuple palestinien et annexer les derniers territoires en leur possession. Par ailleurs, les mouvements en faveur des Palestiniens furent décrédibilisés, qualifiés de violents, puis réprimés. Je dois dire que je ne saisis toujours pas comment cela a pu arriver et je ne comprends pas non plus que notre débat public ne se soit pas montré à la hauteur des trente mille civils et enfants tués, car nés Palestiniens.
À l'échelle planétaire, malheureusement toujours en arrière-plan, le changement climatique s'accélère. 2023 est l'année la plus chaude jamais enregistrée. Les perspectives s'assombrissent au fil des semaines, et les objectifs de décroissance deviennent utopiques. L'atmosphère irrespirable n'est donc plus imagée, mais l'humanité choisit son camp, celui du profit.
J'avoue que c'est avec la gorge nouée que je finis d'écrire ce bilan. Je ne saurais l'expliquer, mais j'ai pour seul ressentiment d'avoir été assommé par ce flux d'informations et leurs enchaînements.
Mais alors, d'où provient ce ressentiment ?
Il est surprenant dans un premier temps de remarquer qu'il est fréquent chez les jeunes de conscientiser les travers de la société du numérique, alors que nous ne connaissons réellement que cette ère médiatique là. C'est en réalité toute l'ambiguïté des systèmes d'informations d'aujourd'hui. D'un côté, le journalisme et les moyens de diffusion actuels n'ont jamais été aussi efficaces, avec une information en continu et quasiment accessible à tous. D'un autre côté, ce sont peut-être ces informations instantanées qui nous empêchent de bien comprendre leurs significations.
Dans un monde où les libertés individuelles disparaissent à petit feu, créer nos propres conditions de liberté passe par la compréhension de notre monde, rester informé c'est comprendre et mieux comprendre en restant attentif à la nature de ce qui nous touche.
Cependant, il est important de voir qu'outre la prévention sur les aspects dangereux et malveillants des réseaux et d'internet, personne ne nous a réellement appris à rester informé dans de bonnes conditions, à vivre avec ce flux d'information continu, pas seulement les jeunes mais toutes les générations. Il n'est d'ailleurs pas étonnant de constater la difficulté exprimée par les personnes âgées à maîtriser et comprendre les nouvelles technologies, étant donné l'éloignement générationnel mais aussi culturel par lequel ils sont séparés. En réalité personne n'a réellement de recul sur cette ère, sur les impacts à long terme sur notre capacité de réflexion, d'esprit critique ou même sur notre santé mentale. Ce n'est évidemment pas la première fois que l'humanité le fait, par exemple, l'Europe consomme du tabac depuis le XVIe siècle et pourtant il a fallu attendre les années 1950 pour que les premières études épidémiologiques prouvent indiscutablement la toxicité du tabac. Vous comprenez bien ici que les deux exemples ne sont pas comparables de par leurs différences drastiques de contextes, d'époques et d'avancée technologique. Il s'agit simplement de mettre en avant le fait que nous avons la fâcheuse tendance à conscientiser un problème mais le laisser de côté car trop utile, lucratif ou central pour être remis en question. Par ailleurs, le fait de ne pas avoir de recul n'est pas une critique, mais simplement un constat car ce n'est que le temps qui pourra nous éclairer au sujet des impacts à long terme.
Cependant, maintenant, que pouvons nous faire concernant les premiers travers que nous remarquons ? N'y a-t-il pas une certaine distance à prendre avec nos outils de communication ?
Marc Crépon, directeur de recherche à l'Université Paris Sorbonne et directeur du département de philosophie à l'École normale supérieur, souligne le fait que la vitesse de l'information nous empêcherait de construire une interprétation juste et qui nous ressemble. Les modes de communication actuels court-circuiteraient en effet notre réflexion. Touchés et marqués par les événements, il ne faut peut-être pas pour autant fonder nos réactions sur les bases de l'intensité de nos passions car la réaction immédiate peut par ailleurs induire une simplification et une réduction du langage, ce qui peut être source de violence verbale. Vivre en adéquation avec notre époque c'est rester informé tout en prenant ses distances avec les réseaux sociaux. Ce qui nous permettrait de prendre du recul sur l'actualité, ou bien, d'installer un autre rapport au discours et aux images. Si celle-ci nous marque tant, il faut peut-être lui accorder plus de temps afin de construire un avis qui nous ressemble réellement. Cela pourrait être une des premières solutions pour ne pas être submergé et ne pas tout mélanger.
J'aimerais insister par ailleurs sur ce point, à partir de mon expérience personnelle, via l'exemple des blocus et mobilisations lycéennes vécues l'année dernière. En effet, j'ai pu voir autour de moi quelques jeunes prenant part aux mobilisations sans réellement savoir pourquoi, ou même certains qui, quelques mois après se sont rendu compte que leurs convictions politiques ne correspondent absolument pas à ce que les différents mouvements auxquels ils ont pris part revendiquaient. L'effet de groupe a son importance dans l'équation, mais également le manque de connaissance de soi envers l'actualité et l'incapacité à faire le tri. J'ai moi-même réalisé, au cours d'une manifestation, lors d'un micro-trottoir étudiant où l'on me demandait d'expliquer mes revendications, que je n'avais pas réellement compris les enjeux. J'avoue que j'ai eu honte et j'ai tout fait pour ne pas le dévoiler auprès des autres. J'avais honte car c'était l'exemple parfait de ce qui pouvait être reproché à la jeunesse et qui décrédibilisait notre engagement. J'ai par la suite compris que savoir expliquer des enjeux et les comprendre étaient deux choses très différentes, mais il y avait tout de même un couac. J'ai donc pris le temps pour effectuer cette prise de recul et de distance de mon côté et ai fini par trouver ma place au sein de la mobilisation, ce qui je dois dire a pu multiplier ma motivation par deux. En clair, avec cet exemple, j'aimerais mettre en avant le principal problème de l'information par les réseaux sociaux, en particulier pour les jeunes générations. En effet, nous sommes les premiers concernés par cette spontanéité de l'information car nos codes sociaux en sont partiellement issus, et tout en étant persuadés de la comprendre et de bien la manipuler, nous n'avons en réalité aucun contrôle sur elle. Avec du recul, je constate de cette expérience qu'il est extrêmement difficile pour un individu en plein éveil sur de multiples sujets de se construire correctement avec autant de sources d'informations. Le plus troublant étant que je n'avais aucune conscience de mon erreur avant de me retrouver confronté à l'explication de mes convictions à un autre.
Je rejoins alors l’avis de Marc Crépon, je crois qu’il est primordial d’apprendre à prendre du recul sur les actualités. Cela peut se faire de différentes manières selon les aptitudes et les centres d’intérêts de chacun. Par exemple, en s’intéressant réellement à un sujet, en se documentant, en utilisant correctement toutes ces sources numériques ( podcasts dédiés, débats, documentaires, articles sourcés, ) ou en échangeant simplement autour de nous mais également avec des gens d’opinions différentes. L’ important étant de ne pas considérer les actualités comme un flux à regarder de loin. Cela pourrait éviter à chacun de tomber dans une certaine hétéronomie envers l’actualité et surtout de savoir évoluer et comprendre le monde qui nous entoure à travers nos propres perceptions. Une conscientisation individuelle pourrait alors devenir collective dans un intérêt commun. Cela pourrait également servir à améliorer de nombreux échelons du débat public, comme sa constructivité et son objectivité, l’accessibilité de l’information, ou encore l’échange dans les collectivités et l’évolution des opinions. Mais ça, nous le développerons dans de prochains billets.
Cette année se clôt et une autre débute. Il serait probablement trop optimiste de croire qu’elle sera moins complexe que la précédente. La tempête 2024 sera probablement plus forte, mais nous pouvons faire en sorte d’en sortir différents, conscients, et ayant des opinions mieux fondées. C’est probablement le premier pas réalisable par chacun avant de pouvoir agir de manière plus concrète, dans des causes qui nous animent.
C’est donc la fin de ce premier billet. J’espère de tout cœur que vous en avez compris la démarche. J’espère également évoluer et apprendre dans l’écriture au fur et à mesure des prochains épisodes.
A très vite
L'article fait référence à une émission France inter, parue le 2 décembre 2023.
Le grand Face-à-face, Marc Crépon
Visuel réalisé par Tuna Suzgun
Ecrit par Ulysse B