-
Simon Boué
- 6 min
Nous avons commencé cette troisième journée par une présentation des comptes-rendus des travaux menés la veille et l’avant-veille à Khiasma. Laura s’était désignée pour écrire sur la journée de mardi et Cécilia sur celle de mercredi. Nous écoutons d’abord Cécilia, et ensuite Laura. De manière générale, ces deux comptes-rendus nous apparaissent très fidèles au déroulé de ces deux premiers jours et retranscrivent bien le contenu de nos discussions. Ils reçoivent un accueil assez positif de la part du groupe et semblent générer une bonne dynamique pour avancer sur le projet.
Nous enchaînons autour d’une table pour revenir sur les esquisses de contributions artistiques auxquelles nous songions pour restituer notre travail collectif. Une proposition est faite de donner la parole à chacun afin de suggérer au groupe nos pistes de réflexion et partager notre vision de la reprise de ces images coloniales. Nous nous interrogeons sur les formes que peuvent prendre les traces de ce workshop pour le public. Il y a parmi nous une volonté de montrer ces images argentiques du Congo, bien qu’envisager une projection semble compliquée du point de vue du cadre légal. Nous envisageons cette impossibilité de montrer légalement ces images comme une contrainte avec laquelle composer.
Milena propose de s’emparer de la question du rythme et de l’absence dans ces images. Sa création se porterait au niveau de cette absence en travaillant sur le son, la voix. Arthur rejoint Milena sur cette idée, il s’intéresse également à la notion de rythme, à la question de la voix. Il partage ses idées de traces et d’éclatements au groupe et propose un travail sur la sensation, la trace, quelque chose qui s’éprouve.
Alexander se trouve intéressé par cette idée de reconstruction du son des images coloniales. Anna nous rappelle la conférence de la table ronde du roi Baudoin et la consensualité de son discours sur l’indépendance. Selon Anna, les éléments de son discours font résonance à cette absence d’images du film (cf. Raoul Peck, Lumumba, la mort d’un prophète, évoqué plus bas). Maxime parle aussi de l’absence d’images du discours au moment où Lumumba prend la parole. Ce qui nous ramène à l’idée de l’absence, et de savoir comment un corps ou son absence compose un film. Nous évoquons l’idée de produire une performance d’un texte par le corps comme restitution. Nous pensons à un dispositif organique, spatial. L’artiste Britt Hatzius est mentionnée par Antje, il s’agit d’une artiste qui produit des films pour aveugles.
Arthur se demande comment convoquer une sensation lors de notre restitution. Il nous invite à trouver un liant de l’ordre de l’émotion. Peut-être écouter un son en regardant une image. L’idée de performance comme restitution est questionnée, notamment le rapport à l’espace et à la position du public. Anna nous invite à regarder la captation d’une performance de Lebogang Mashile intitulée « Vénus Hottentote vs. Modernity ».
Nous partageons l’idée de produire un collage vidéo par distorsion, saturation mêlant textes et images. Le travail sur le son suscite beaucoup d’intérêts de la part du groupe. Une expérimentation sur l’image est retenue également.
Nous prévoyons de re-projeter en début d’après-midi les films de famille 8 mm tournés au Congo Belge pour permettre à Laura, qui n’était pas parmi nous mercredi, de travailler sur ces images.
Avant que nous déjeunions, certains d’entre nous partirent avec Simon chercher des tables de sorte à permettre de rallonger celle de la terrasse Khiasma sur laquelle un repas collectif était prévu, et d’installer le matériel de travail de nos amis artistes.
De ce repas de groupe se développe, entre autres, des questionnements liées à la situation géopolitique actuelle du Congo, aux droits d’auteur de certaines images, aux crânes de Congolais (chef Lusinga pour exemple) conservés à Bruxelles. Arthur nous quitte à l’issue du repas, pour rentrer à Bruxelles. Il reviendra lundi parmi nous à Paris.
À la suite de cette pause déjeuner, nous essayons en vain de projeter les petites bobines de films belges, un problème d’ordre technique subsiste lié au support métallique d’une bobine et à l’éclatement d’une ampoule. Nous décidons alors de relire pour Laura les notes, les textes de chacun provenant de l’exercice de mercredi qui consistait en une ré-écriture, une ré-interprétation poétique, littéraire de nos notes à partir du souvenir qu’il nous reste de ces films de famille coloniaux. Laura s’active, note, un film se dessine. De ces relectures ressort une poésie folle.
Afin de garder en tête pour nos travaux le contexte historique du Congo Belge des années 1959/1960, Anna nous propose de regarder un programme court propagandiste, le reportage Voyage du Roi au Congo — Noël 1959. Glaçant, des rires éclatent à divers moments du film lorsque le commentaire déraille : « élue avant d’être électrice », « potentiel athlétique », référence à la communauté noire. Nous poursuivons par la projection d’un extrait du film de Raoul Peck, Lumumba, la mort d’un prophète (1990), qui nous montre les images d’archives du discours d’indépendance du Congo le 30 juin 1960 par le roi Baudoin. Lors de cet évènement, Patrice Lumumba est censurée à l’image dès sa prise de parole très forte, pour l’Afrique. Sa voix est restée, son discours retranscrit mais son image n’est plus. Lumumba est tout de suite relégué dans le hors-champ de l’image, nous ne voyons plus que les réactions dans l’assemblée, entre euphorie des Congolais et hostilité des colons. La liaison entre ces films et ceux tournés dans un cadre idyllique au sein de la famille se fait autour de la question historique, de cette époque charnière pour le Congo. Nous sommes à l’aube d’une révolte populaire du pays pour son indépendance, lors de la toute fin des années 50, mais ce moment est éludé dans ces films de famille. Le décalage entre ces deux types de film fait sens.
L’idée proposée par Catherine mercredi de former des binômes pour explorer des possibles champs de restitution est discutée. Nous évoquons l’hypothèse d’un élargissement de ces petits groupes de travail autour de 3/4 personnes. Nous finissons par s’avouer qu’il appartient à chacun de travailler selon sa propre méthode, ses propres règles. L’essentiel est de se sentir libre d’action.
Des groupes se forment tout de même. Certains restent dans l’espace Khiasma pour écrire, dessiner, monter comme Milena, Alexander ou Maxime, d’autres investissent les rues alentour pour filmer, photographier.