Archiver l'absence : deux pratiques artistiques face à la colonialité de l'histoire

Dans Nos visages (2019 – 2021), Nidhal Chamekh se penche particulièrement sur ceux qui ne font pas Histoire – dans le cadre d’un récit national dominant – et s’acharne par une pratique centrée autour du dessin, non pas à leur redonner un nom, mais à ré-actualiser la violence de la déchirure historique qu’a entamé, poursuivi puis entériné l’Empire colonial français. Il ne s’agit pas pour lui de réparer a posteriori l’absence par la présence, l’anonymat par la célébration, mais bien d’accentuer ces absences et de les archiver en tant que telles.

Fanny Souade Sow, quant à elle, travaille à créer une archive là où il n’y en a pas, à l’image de son projet autour du 17 octobre 1961, répression meurtrière par la police française, d’une manifestation d’Algérien·e·s organisée à Paris par la fédération de France du FLN. Invitée tantôt par des artistes, des familles, des collectivités ou des centres d’art à travailler cette absence mémorielle, Fanny Souade Sow propose des plaques commémoratives qui disent le silence même entourant le massacre dans l’historiographie française, et dans l’imaginaire que tente de véhiculer un récit national unifié.

D’où vient donc cette « impulsion archivistique » chez les artistes Nidhal Chamekh et Fanny Souade Sow ? Comment cette pratique s’insère-t-elle dans leurs œuvres ? Que vient-elle interroger non seulement dans le passé, mais dans l’avenir même de l’Histoire, des histoires qu’il nous reste à dire ?

Cette discussion était modérée par Hajer Ben Boubaker, chercheuse indépendante et documentariste sonore.

Les images utilisées durant la rencontre sont reproduites ci-dessous :

Biographies des intervenant·e·s :

Hajer Ben Boubaker est chercheuse indépendante, spécialiste des musiques arabes et de l’histoire culturelle de l’immigration maghrébine en France. Elle est créatrice du podcast Vintage Arab qui aborde les musiques arabes sous un prisme socio-historique. Elle est productrice chez France Culture pour qui elle a notamment réalisé le documentaire « Une histoire du mouvement des travailleurs arabes » consacré aux luttes de l’immigration dans les années 1970. Elle collabore avec divers médias et institutions culturelles.

Né en 1986 à Dahmani (Tunisie), Nidhal Chamekh vit entre Paris (France) et Tunis. Il a étudié à l’Ecole des Beaux-Arts de Tunis et à l’Université de la Sorbonne à Paris. Dans son travail, il étudie l’histoire comme un point d’accès à notre époque contemporaine. S’inspirant à la fois de la biographie et de la politique, son travail prend la forme de dessins, d’installations, de photographies et de vidéos. En échantillonnant le chaos de l’histoire, son travail constitue une sorte d’archéologie sociale et culturelle qui rend perceptible la complexité historique des images. Le travail de Chamekh a été exposé au MAC Lyon pour « Comme un parfum d’aventure » (2020), à la Biennale d’art contemporain « Dream City » de Tunis (2019) et au Modern Art Oxford pour « A Slice Through the World: Contemporary Artists’ Drawings » (2018). En 2021 – 2022, il est pensionnaire à la Villa Medicis à Rome.

Fanny Souade Sow est née en 1994 à Versailles. Diplômée de l’Ecole supérieure d’art et de design de Grenoble – Valence en 2020, elle vit et travaille en région parisienne. Son travail est habité par des questionnements d’ordre sociopolitique et historique. Que ce soit sous la forme d’éditions, de sculptures, de performances ou à travers le médium vidéo, elle interroge les effets de l’héritage colonial sur les corps racisés. Si ses œuvres rendent compte de mécanismes d’oppression systémiques et violents, elles participent également à l’écriture d’une mémoire collective.
Ses œuvres ont récemment été exposées dans le cadre d’expositions collectives notamment au MAC VAL – Vitry-sur-Seine (2019), à l’Académie Royale de Bruxelles (2020), au FRAC Franche-Comté – Besançon et à KADIST, Paris (2021) et à la galerie Eric Dupont (2022). En Janvier 2022, elle a bénéficié d’un premier solo-show au RECYCLART – Bruxelles. Elle est actuellement en résidence au CAC Brétigny et accompagnée par la curatrice Daisy Lambert. En mars et avril 2022, elle est en résidence à SAW gallery à Ottawa, Canada.